À la différence des huit précédentes éditions du guide Legrand et pour préserver l'anonymat et l'incorruptibilité des inspectrices et des inspecteurs, l'adresse complète du lieu de vernissage ne figure pas dans ce guide. La notation a elle aussi changé. Pour chaque vernissage, notre appréciation globale était indiquée par nos fameuses cacahuètes. Les lieux d’exposition avaient donc six, quatre, deux ou zéro cacahuètes. Ici, un bol de cacahuètes sera le symbole de ces vernissages confinés.
Enfin, en réponse à certains doutes exprimés par quelques personnes, nous précisons que tous les compte-rendus sont authentiques.

TARBES


Il est 19 heures 12 minutes à ma montre Casio F-91W, achetée 29 euros aux Galeries Lafayette, montre en plastique au look rétro plein de charme. L'heure du vernissage confiné dans la cuisine. Un verre de xerès fino (pas terrible) dans une main et une assiette de lamelles de magret séché dans l'autre, j'ignore la gravure joliment encadrée grâce à Leroy-Merlin, un excellent rapport qualité-prix. Je m'assois sur un tabouret design de chez le Chaisier, très confortable et solide, et je poursuis une réflexion sur le placement de produits dans le guide Legrand, un des meilleurs, si ce n'est le meilleur, guide de buffets de vernissages. Il faudrait quelque chose de discret (un peu comme dans les films de James Bond). 

PARIS


Le vernissage se déroule dans le salon d’un appartement au 8éme étage, ce qui est pratique pour éviter l’ensemble de l’exposition et profiter de la vue qu’offre la fenêtre. Le buffet se compose de saucissons secs, de mini quiches variées au saumon, à la chèvre avec compote d’oignons, aux trois fromages et tomates. Le tout est accompagné d’un vin rouge de Bordeaux (récolte 2016), servi dans des verres à pied, parfait pour les deux invitées. Soudain on remarque des jumelles sur la table, quelle belle découverte ! La conversation se porte sur l’espionnage du voisinage qui, respectueux de la réglementation, reste bien confiné à la maison. Les personnes à la fenêtre ayant disparu nous privant ainsi de notre pratique curieuse nous décidons, aidés par le vin, de ne pas regarder l’exhibition préférant nous dédier à une partie de Rummikub. Excellente expérience!

TARBES


Depuis le balcon ouest nous pouvons admirer le jardin Massey pour l'anniversaire du premier mois de sa fermeture, rendant ainsi hommage à Placide Massey, jardinier en chef du roi Louis-Philippe. Nous apprécions la qualité gustative du buffet végétarien en l’honneur du célèbre botaniste: pointes d’asperges, branches de céleri, carottes tranchées, quelques radis roses avec des tranches fines de radis noir… Le tout accompagné de jus de fruits naturels (pommes, poires, raisins…). Idée originale, de bon goût… mais qui aurait mérité d’être arrosée par des liqueurs, d’origine végétale elles aussi, plus alcoolisées.


PAU


Convives assez peu nombreux: invisibles, distants et isolés, ils sont connectés. Et c'est tout, mais essentiel pour une première, à notre connaissance, dans l'histoire des vernissages. Des inconnus inaugurent et vernissent chez eux, simultanément, tous ensembles mais loin les uns des autres, ce qui ralentit la transmission des miasmes et la queue au buffet. Emmanuel Macron en a même annulé l'allocution aux français qu'il prévoyait ce soir. Si les buffets sont en quelque sorte dématérialisés, nous avons très peu de chance de nous tromper en préjugeant qu'ils soient tous de très grande qualité. Ambiance sereine et digitale. Les discussions sont ici des commentaires, et ne débuteront timidement qu'une demi heure après le début de l'évènement/vernissage. Quelques likes plus tard, chacun regagne sa vie analogique: il faut bientôt applaudir au balcon. 

PITON BOIS DE NÈFLES, ÎLE DE LA RÉUNION.


Le vernissage se déroule dans une salle de bain. Le buffet est aquatique. Posé à proximité de la baignoire sur une petite étagère Do It Yourself, on découvre du jus de raisin, premier prix, du raisin italien importé (que l'on préférera à une exposition collective sur Internet qui présente des grappes d’artistes aux pratiques diverses) et une soupe de lentilles noires agrémentée de thym, de curcuma et de gingembre. La conversation est absente. L’unique convive ayant choisi d’écouter des albums pirates de Joy Division qu’elle a reçus quelques heures plutôt par mailing postal. Le vernissage se termine aux alentours d’1 heure du matin. 

TARBES


Le balcon est donne sur le cimetière Saint Jean. La tombe d'Yvette Horner, célèbre aureilhanaise qui repose en ces lieux, nous rappelle l’impérieuse nécessité du retour du Tour de France 2020. Sur la table dressée à cette occasion un casse-croûte imposé par les circonstances: l’incontournable bouteille de Madiran de qualité, entouré par de la charcuterie issue d’une production de porc noir bigourdan, de fromage de brebis pyrénéen et d’un gâteau à la broche… Un grand moment d’imprégnation du terroir.

QUIMPER


Le vernissage a lieu dans une pièce exiguë, fenêtre sur monde où depuis le début du confinement un jeune artiste livre des performances classiques revisitant les classiques Pop des années 80, 90 et 00. Le buffet est modeste mais délicieux. Sur une table indienne, un lassis composé de sirop de rose et de lait végétal, quelques toast délicats de houmous préparés plus tôt. L'Orphée 2013 du Mas Foulaquier, un vin rouge bio du pic Saint Loup, complète l’ensemble. Les langues se délient. Les sujets n’évoqueront pas l’art mais les madones, les grands parents agriculteurs ou encore l’Inde natale. Les conversations subtiles et légères refusent l’indélicatesse de se plonger dans l’apocalypse.

TOULOUSE


Quartier des Chalets, dans un charmant petit immeuble collectif de ce quartier bourgeois du centre-ville, encore préservé de la rapacité immobilière. Une cuisine agréable qui donne sur une très mignonne arrière-cour typiquement toulousaine, où trône un de ces palmiers hérité de l’époque orientaliste. Les oiseaux gazouillent, une radio (France Musique vraisemblablement) délivre un programme fort agréable quelque part au loin. Quelques odeurs de cuisine typiques. Le soleil couchant sur les toits fait briller la brique et les tuiles. Le vernissage est minimal et de qualité. Quelques radis présentés dans leur joli saladier-égouttoir en plastique sur une assiette en porcelaine ancienne. Verres à pied. Excellent vin bio venant du petit causse de Cordes-sur-Ciel, à proximité d’Albi. L’assistance se questionne sur la destination de ses prochaines vacances d’été...

PARIS


Le vernissage de l’exposition collective ''Le virus de la peinture'' a su déplacer les foules et rassembler de nombreux artistes. Certains étaient en direct sur Instagram et sont restés jusqu’au bout de la nuit, quand d’autres, le temps d’un like, n’ont fait que passer. Entre ce qu'il y avait chez le galeriste et ce que l’on pouvait apercevoir chez les invités à travers leurs vidéos, il y avait à boire en quantité et dans une offre à faire pâlir n’importe quel bistrotier: des spritz, du vin bio-dynamique, aussi bien blanc que rouge, du pastis, de la bière à la châtaigne… Le tout accompagné d’un plateau du terroir 2.0: pâté basque fait maison, saucisson, fromage de brebis souletin artisanal, terrine et autres toasts se sont succédé tout au long de la soirée. Aucun commentaire désobligeant n’a été relevé, pas même un mot à propos des œuvres. Rien. Que du pixel, de l’instantané et des discussions éméchées.

PAU


Inauguration d’un atelier d’artiste (une chambre dans un appartement). Les œuvres sont encore pour l’instant, et fort heureusement, empaquetées. À l’opposé de l’appartement, au sud, le balcon sur lequel se tient le buffet, ou plus exactement un demi buffet puisqu’il est constitué des restes d’un apéritif de la veille. Le Chinon ''vieilles vignes'' est de fait bien aéré et se marie parfaitement au houmous de pois chiches servi sur des cracottes de sarrasin. Les convives, en comité restreint, auraient pu profiter pleinement du silence de la ville et du piaillement délicat des oiseaux si les voisins du dessus n’avaient pas eu l’indélicatesse de ''skyper'' ostensiblement. Leurs conversations n’ont aucun intérêt, ce qui est plutôt agréable mais un peu bruyant. De surcroît les traditionnels applaudissements de 20h obligeront les convives à quitter le balcon pour se soucier de la suite que prendra la soirée. Fin du vernissage.

BARCELONE


Le vernissage se tient dans l’atelier de l’artiste, au beau milieu d’une ancienne usine industrielle aux allures post-apocalyptiques. On dégustera des amandes fraîchement décortiquées et quelques tranches de saucisson sec pour commencer l’apéritif, arrosé de Verdejo servi en verre à pied et de l’eau gazeuse en gobelet de verre pour l’artiste, abstème. La suite se déroulera dans le patio aménagé à l’intérieur du hangar, ou une table rustique est dressée convenablement. Le curry de lentilles rouges aux épices servi sur un lit de riz basmati al dente tombe bien, la soirée est fraiche. Un pot de fromage frais au miel vient clore le repas, suivi par un bol de tisane fumante. L’ambiance est sobre sans être morne. La conversation porte sur l’avenir, un pêle-mêle de projets imaginaires, vagues spéculations et quelques décisions pratiques qui nous font vite oublier les œuvres, fondues d’ailleurs dans le décor au point de devenir presque invisibles.


SAINT-MARTIN


Vernissage familial dans un salon gersois. Fenêtres en bois brut, tomettes de briques rouges et vieux tapis. Les invités sont la famille et la belle-famille, confinés inopportunément ensemble. Vin bio gersois servi dans un verre à pied, de même pour la bière artisanale. Excellentes tartes et pizzas faites maison. Tentative pour parler d'art rapidement bridé par l'inintérêt général. Ambiance bonne et détendue.

PARIS


Le vernissage confiné de la Biennale des Animaux Artistes a lieu sur le balcon d'un appartement au deuxième étage. Jolie vue sur les arbres. Le buffet se trouve sur un guéridon: whisky, porto, rhum, Guinness, papaye, dattes. On peut apprécier la robe couleur rouge profond tirant sur le noir du porto. Par contre, notre participation au vernissage par vidéo nous empêche d'évaluer son nez (probables arômes de fruits rouge et de prune) et son goût (possibles tanins fondus et finale rafraîchissante). L'artiste plastichien Litchi de Fraisno  fait part de sa désapprobation quand on lui propose un whisky (du blended!!). Conversation amicale (on évite de trop parler du pique-assiette coronavirus) et bises (800 kilomètres, la distance préconisée est largement respectée).

PAU


Un appartement palois place Gramont. Une exposition se tient dans la cuisine. Le buffet composé de vin rouge (Côte de Brouilly), servi dans des verres en cristal, et de graines de courges, frugal mais adapté à l’appétit des convives. L’intérêt exclusif de ce vernissage réside sur la vue imprenable sur le Château d’Henri IV. Musique d’ambiance excellente, le public peut également fumer sans entrave légale. Public restreint à deux personnes. Discussions enjouées qui portent succinctement sur l’art, l’édition et le cinéma et se reconcentrent rapidement sur la baisse notable des températures. En témoigne un syndrome de Raynaud qui empêche une des convives de saisir aisément les dernières graines de courge. Le vernissage se poursuivra par une soupe chaude et un film en streaming.

NANTES


Tout se passe dans la cuisine des Ateliers du Couvent. La pièce la plus grande et la plus importante. On remarquera la superbe partie de mur avec niches en pierre du 14ème siècle (datant de l'époque de la construction du quartier de la cathédrale de Nantes). Belle ambiance monacale fort joyeuse pour les sens. On appréciera les petits toasts grillés au houmous, les petites barquettes avec saucisses au muscadet et pommes de terre rissolées, le verre de muscadet et la bière du Bouffay blonde à volonté. Peu de choix mais excellent.

VENISE


C'est dans le séjour que le vernissage a lieu. On appréciera un exceptionnel Vernaccia di Oristano (nez délicat aux notes de fleur d'amandier, palais fin et chaud au léger arrière-goût agréable d'amande amère) accompagné d'un très bon parmesan. Sans pain. Pas de glucide en ces temps de confinement où l'on manque d'exercice. Par la fenêtre, une superbe vue typiquement vénitienne: d’un côté un petit campo avec le Palazzo Pozzo et un jardin. De l’autre côté, une très belle salizzada pleine de jolis magasins fermés. Et on ne parle pas d'art.

TARBES


Le lieu d'exposition est la cuisine d'une villa typique des années soixante, une figure banale, dépaysée et omniprésente sur tout le territoire français. La cuisine au premier étage a été récemment rénovée et donne sur les jardins des voisins. On appréciera la floraison d'un grand massif d'azalées. Le public est très peu nombreux mais de qualité. Service soigné. Le buffet est simple et bon: olives, pâté, pain de campagne, américano (fait avec du Campari, bien entendu, et pas avec de l'ignoble Aperol que l'on voit, hélas, de plus en plus souvent.) Personne ne s'intéresse à l'exposition.

PARIS


L’exposition a lieu dans le salon, le buffet a été installé sur une table noire, le long de grandes fenêtres laissant voir un magnifique ciel nuageux. Délicieux cake salé (olives, chorizo, tomates séchées et cheddar) et excellent petit vin rouge du pays de l’Hérault. Couverts en argent, verre en verre, assiette en assiette, le service est discret, l’ambiance est joyeuse, le public réduit mais choisi. La seule personne qui le constitue, munie de son attestation de déplacement dérogatoire, ne restera qu’une heure, confinement oblige, et ne parlera pas d’art. Que demander de plus ?

PARIS


Dans un cadre sobre et dans une ambiance post-apocalyptique nous apprécierions le service irréprochable. Si par le passé ''le cercle des amis de l’art du canevas au masculin'' s'est toujours fait remarquer par ses buffets, celui-ci était plus qu'à la hauteur. Hélas, faute de combattant la soirée a tourné court. Dommage, le chaud-froid de volaille était exceptionnel. Une adresse à retenir.

TARBES


Un martini très classique (Broker's et Noilly-Prat) dans une main et une assiette de lamelles de magret séché dans l'autre, nous ignorons les quelques œuvres accrochées dans le séjour pour nous installer sur la grande terrasse de plein-pied (signe très relativement distinctif de cette villa des années soixante). Nous nous asseyons au soleil en profitant de la vue sur les Pyrénées encore enneigées. Il y a un nombre inusité de personnes dans la rue habituellement déserte. Promeneurs et joggeurs exclusivement. Plusieurs questions nous assaillent. Qui sont ces gens? Des Parisiens? Ont-ils tous leur attestation de déplacement dérogatoire? Faut-il prévenir la police? Le martini est-il assez frais?